Qui sont Geoffrey De Dryver et Amélie Spapens de La Ferme de Montamy ?

Arriver à Montamy, c’est tout d’abord s’élancer depuis Saint Martin des Besaces – petit bled quelconque accroché à ses années quatre-vingt – à flanc de colline sur une départementale de BD fantasy. La route, espiègle et minuscule, sinue entre bois clairsemés et vallées émeraudes que le petit peuple ne renierait pas. Ne soyons pas naïfs : la vallée est préservée car ses pentes sont raides, donc inexploitables. Plus haut et sur le paysage entier, les sommets ont été scalpés par l’homme et son avidité cannibale. Après quelques kilomètres de cheminement lutinesque, on débouche sur Montamy, traversé par une trois-voies qui dût être autrefois une simple grand-route passante. Ici les arbres sont rares et l’on devine les cours d’eau qu’ils ombragent encore. La Ferme de Montamy se trouve non-loin du bourg et se niche avec ses 200 ha d’un seul tenant au confluent de plusieurs pieds de collines qu’on devine très humides. Le tout est chaleureux, les arbres y sont heureux et les mamelons abrupts semblent tapisser la moitié du ciel.

Geoffrey et Amélie ont élu domicile dans ce nid de verdure en 2017. Il y a, en arrière-plan, une première aventure fermière et collective qui a duré cinq ans (ah les dégâts du PFH*…), c’était dans l’Orne. 

*Putain de Facteur Humain

Mais débutons par le commencement.

Les phrases d’Amélie – c’est elle qui me reçoit pendant que Geoffrey se cache sous une presse à foin, les mains pleines de clés – sont agrémentées de septantes et de nonantes qui chantent comme un appel à l’exotisme du Plat Pays. Car oui, Geoffrey comme Amélie plongent leur racine pivot dans la contrée des gaufres et autres vols-au-vent. Geoffrey l’a quitté vers l’âge de six mois pour s’implanter sous nos auspices normands. Amélie, elle, est restée plus longtemps : elle attendra de rencontrer son homme pour quitter le giron bruxellois. En effet, alors que les deux prennent des chemins très différents – études d’anthropologie (pour le plaisir) puis gestion d’entreprise (histoire de manger) pour l’une et d’ingénieur agronome pour l’autre, qui, profitant de l’absence de concours d’entrée et d’une famille sur place opte pour l’exil – la magie de la colocation fait son œuvre. Depuis, trois petits squattent aussi. Passons.

Une première expérience agricole leur fait découvrir un animal qui ne laisse pas Geoffrey de marbre : la vache Aubrac. Rustique, maquillée d’un trait de mascara sauvage, coiffée de longues cornes ensorcelantes, on dirait une grande Jersiaise taillée comme un bûcheron. Aujourd’hui, le cheptel compte deux-cent individus, dont quatre-vingt-cinq mères, qui pâturent sur la moitié des terres, l’autre moitié étant dévolue aux différentes cultures.

Le site de Montamy comptait aussi un poulailler ? Soit ! La ferme produit cette année ses 5000 poules. Comme les deux sont curieux, ils se sont aussi spécialisé dans des cultures originales pour la région : Amélie souhaitait compléter les rotations de blé et de sarrasin (ils en font de la farine avec le paysan-boulanger d’à côté) avec des légumineuses. Lentilles, lentillons (qui, décortiqués, donnent les lentilles corail, on en apprend à tout âge) et même pois-chiches – mais le temps de chien mouillé en a sonné le glas cette année – ont donc naturellement pris leur place sur l’exploitation aux côtés des parcelles de quinoa, cameline, tournesol, chanvre et colza, ces quatre dernières espèces pour produire de l’huile. Qui dit cultures inédites dit matériel original. Amélie m’égrène sans le savoir tout un inventaire à la Prévert du machinisme agricole : trieurs Marot, (ce mot fait naître dans mon esprit l’image d’une machine tout en bois comportant cylindres fendus et rouages cliquetants car il y a la même sur notre ferme. La version moderne est une coque métallique d’un blanc cassé des plus élégants, toute menue, et fait la musique pimpante d’un moteur moderne) ; décortiqueuse ; presse à huile que j’imagine grosse comme un bâtiment, puissante et dégoulinante de moût noir. En fait, je passe à côté sans m’en apercevoir : elle dévide silencieusement ses longs vers de tourteau dans un big bag, juchée sur une table et casquée d’un seau de graines de tournesol. La cadence a le peps d’un moulin à café manuel lancé au maximum. Le tourteau issu du broyage servira à nourrir les bêtes, celles de la ferme ou celles d’ailleurs, l’excédent étant vendu à qui en veut.

Comme ils n’en ont jamais assez d’améliorer leur système, les vieilles vaches, qui partaient auparavant en circuit long, sont valorisées en bocaux divers que vous connaissez, mais aussi en bœuf séché et saucissons que vous ne découvrirez que si vous vous rendez sur place puisqu’il n’y en a pas assez pour le GIE. Et toc. Ces deux derniers produits de transfo ne sont pas labellisés bio par logique bureaucratique, le labo n’ayant pas encore l’agrément. Enfin, et puisqu’il est bon de mettre un peu de terre sur ses propres racines, les deux tourtereaux se sont également mis à l’orge malté qui, contrairement au Faucon (émoticône yeux au ciel, oui bon pardon), participe à la fabrication de, comme vous le savez tous, la bière. Et cela sert à des brasseurs locaux – pour la Valdal, notamment – comme à ceux du cru puisqu’une cargaison part chaque année en Belgique.

Enfin, en ce qui concerne la commercialisation, la Ferme de Montamy se déverse sur Paris et sa couronne à hauteur de 8 % de son chiffre d’affaire environ (sur le GIE PFBN et le GIE 2, fils de ce dernier). Le reste est écoulé en vente directe à la ferme, dans les Biocoop manchotes et calvadosiennes et plusieurs cantines et restaurants sur Vire et Caen, à trente-cinq minutes de chez eux.

Amélie m’offre un paquet de lentilles corail tout juste sorties du trieur. Je remonte, songeuse, le chemin qui m’emmène vers la route elfique et je mets Offenbach à fond. Non pas que j’adule Offenbach mais il passe à ce moment-là sur France-Musique et c’est franchement grandiose, aussi grandiose que l’ouvrage foisonnant de mes deux camarades jamais au repos sur leur lit de mousse fraîche. Quelquefois on se plaît à penser que certains projets agricoles ont l’envergure d’une pièce d’Offenbach, sans qu’on le sache encore. Tout ce qu’il faut espérer, c’est que leur aura dépasse leur petit coin de campagne et devienne un jalon aussi imposant qu’Offenbach et ses Bouffes-Parisiens…

Merci à nos amis du G.I.E. P.F.B.N. de nous autoriser à reproduire une partie de leur newsletter. C’est si beau, les histoires de vie !